La mise en garde des commerçants par le ministre : les deux faces de la même médaille.

Tous les hommes sont égaux, libre de négocier et d’entrer dans une relation contractuelle sans condition ou autorisation d’un tiers. Chacun est défenseur de ses propres intérêts dans la sphère contractuelle. FOUILLE disait dans une formule célèbre : « qui dit contractuelle, dit juste ». Autrement dit, si une personne entre librement, sans contrainte, dans un lien contractuel, soit avec un consentement libre, c’est justement parce qu’elle tire un avantage de ce contrat… Si contractuel est juste, il n’est point permis l’intervention d’un tiers qui n’est pas partie au contrat. Telle est la conception civiliste du contrat, celle sur laquelle est bâtie le Code civil hérité du Colon et qui fonde encore notre droit des obligations. 

Et pourtant, personne ne s’indigne du communiqué du Ministre du commerce en date du 05 mai 2020, qui fait une mise en garde aux commerçants qui pratiqueraient de la « surenchère sur les produits de première nécessité tels que le riz, le gari, l’huile, le sucre…». Cette pratique que le communiqué qualifie de « pratique déloyale ».

La question qui frappe immédiatement un civiliste, un juriste d’entreprise, est de savoir si, dans une économie de marché, faire de bonnes affaires, devrait-être interdit.  La liberté de fixation des prix, qui est une conséquence du principe de la liberté de commerce et d’industrie, serait-elle remise en cause ? La concurrence n’est-elle plus libre ? Que veut-t-on protéger ? 

A ces questions, le juriste se doit d’être réaliste, voir pragmatique, en se rappelant de ce que le Droit, ou la Règle de droit, comme le dit le Professeur DJOGBENOU (dans son livre d’Introduction au Droit), a pour finalité l’organisation des rapports sociaux. Elle est une règle de conduite sociale. Dès lors, le Droit ne devant pas être indifférent aux contours de la société, le contrat, comme le marché économique, ne doivent pas y déroger non plus, car l’égalité entre contractant n’est qu’apparente et, sous l’écume du mot, se profile une inégalité. Cette inégalité peut être double. 

Primo, l’inégalité peut être économique (l’un des contractants est une « grande » entreprise et l’autre un « petit » sous-traitant) faussant le libre jeu de la concurrence. Secundo, elle peut être liée à la maîtrise qu’a l’un des contractants sur la matière qui est l’objet de la convention (l’un est un sachant ou professionnel, et l’autre est un profane ou un consommateur) et qui permet de profiter de la naïveté du consommateur. 

Il faudrait, sans remettre en cause toute l’approche civiliste du contrat, un interventionnisme pour secourir le faible, les petits détaillants, le consommateur, mallions faible de la chaîne commerciale, de la chaîne contractuelle. Qui de mieux peut venir en aide au faible dans un monde de liberté de concurrence entre entreprises, où chacun cherche son intérêt personnel, où la puissance économique domine, la règle du fort économiquement ont prééminence, sans briser le libre jeu de la concurrence, si ce n’est l’Etat…, le défenseur et protecteur historique et permanant de l’intérêt général ?

Le communiqué du Ministre du commerce trouve sa justification dans la loi n°2016-25 du 04 novembre 2016 portant organisation de la concurrence au Bénin ; qui vise à protéger le marché économique, le consommateur et promouvoir le libre jeu de la concurrence. Il ressort de cette loi et de l’action du Ministre que, la protection du libre jeu de la concurrence passe essentiellement par une saine régulation de la concurrence entre entreprises, ainsi qu’une parfaite transparence dans la détermination des prix. On peut faire de bonne affaire en fixant librement le prix, en tâchant de ne trop souffler sur la flamme de cette liberté au risque de dégringoler dans l’abus, la surenchère. 

La mise en demeure des commerçants par le Ministre portant sur les « pratiques déloyales qui affecte le prix des biens et services » protège deux valeurs de l’économie du marché : d’une part le marché lui-même et, d’autre part, certains des « usagers » du marché à savoir les consommateurs et non professionnel.  Telles sont les deux faces de la même médaille, ou devons-nous dire, les deux faces de la mise en garde du ministre.

L’urgence, c’est que Covid19 cesse d’être un prétexte d’augmentation des prix sur les biens de première nécessité, dans un contexte où le cordon sanitaire est même levé…

Quid des biens qui ne sont pas de premières nécessités ? Nous osons dire, que les bonnes affaires y soient célébrées et que dura reste lex.

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