LES DONNEES PERSONNELLES DES ÉLEVES ET ÉTUDIANTS AU BENIN : UNE PROTECTION ABSENTE DANS LE SYSTEME ÉDUCATIF ?

À l’heure où le Bénin accélère sa transition numérique, le secteur de l’éducation n’échappe pas à cette mutation. De l’inscription en ligne à l’enseignement à distance, en passant par la gestion informatisée des résultats scolaires, les données personnelles des élèves et étudiants sont de plus en plus collectées, stockées et parfois partagées. Ces informations, souvent sensibles, concernent l’identité, les performances scolaires, la situation familiale, les données biométriques et bien d’autres éléments liés à la vie privée.

Mais cette digitalisation rapide s’accompagne-t-elle d’une protection suffisante des données concernées ? Force est de constater que, dans la pratique, les garanties restent faibles, et les risques pour les jeunes citoyens béninois sont bien réels. Dans un contexte où la sensibilisation est limitée et les dispositifs juridiques peu appliqués, la protection des données personnelles dans le milieu éducatif soulève une inquiétude croissante.

I. Une numérisation croissante de l’éducation au Bénin

Au cours de la dernière décennie, le gouvernement béninois a entrepris d’importantes réformes pour digitaliser le système éducatif. Les universités publiques, notamment, ont adopté des plateformes numériques pour la préinscription, l’inscription, et la gestion académique des étudiants. Les établissements secondaires emboîtent progressivement le pas, avec des solutions de gestion électronique des notes, de présence, ou encore d’identification des apprenants à l’aide de cartes biométriques.

Des groupes WhatsApp sont utilisés pour communiquer entre enseignants et apprenants, parfois pour diffuser des documents officiels ou des résultats. Parallèlement, des entreprises privées proposent des plateformes de formation ou des applications éducatives, souvent en partenariat avec les établissements. Cette dynamique, bien que prometteuse pour la modernisation du secteur, pose de nouvelles questions sur la sécurité et l’utilisation des données récoltées.

II. Quelles données sont collectées et par qui ?

Les établissements scolaires et universitaires collectent une diversité de données personnelles : nom, prénom, date et lieu de naissance, filiation, adresse, numéro d’identification nationale, résultats scolaires, données médicales (handicaps, maladies chroniques), mais aussi données biométriques dans certains cas. Ces informations sont saisies lors de l’inscription ou au cours du parcours académique.

Ces données sont ensuite traitées par divers acteurs : directions d’établissement, rectorats, ministère de l’enseignement, entreprises prestataires de services numériques, voire enseignants ou administrateurs. Le plus souvent, ni les élèves, ni leurs parents, ni même les personnels scolaires ne sont informés de la manière dont ces données sont stockées, protégées ou partagées. Dans certains cas, les plateformes utilisées sont hébergées à l’étranger, sans garanties contractuelles claires quant au respect des normes locales en matière de vie privée.

III. Des risques réels en cas de mauvaise gestion

L’absence de cadre strict et de sensibilisation expose les élèves et étudiants à plusieurs dangers. Des données mal sécurisées peuvent facilement faire l’objet de fuites ou d’utilisations non autorisées. Il suffit qu’une base de données soit stockée sur un ordinateur non protégé, ou qu’un document contenant des informations sensibles soit partagé publiquement par négligence, pour qu’un incident survienne.

Au-delà du vol de données, le risque de profilage abusif, de stigmatisation ou de discrimination est réel. Un élève jugé “faible” peut voir ses résultats utilisés à tort dans une décision administrative, ou être victime d’humiliation s’ils sont publiquement accessibles. Les groupes WhatsApp ou les plateformes non sécurisées peuvent aussi favoriser le harcèlement ou le piratage.

Enfin, les élèves et étudiants n’ont souvent aucun moyen de vérifier, corriger ou supprimer les données les concernant. Ils ignorent qu’ils ont des droits, et il n’existe pas de mécanismes simples au sein des établissements pour les faire valoir.

IV. Un cadre juridique présent mais peu appliqué

Le Code du numérique du Bénin prévoit pourtant des règles strictes pour la collecte et le traitement des données personnelles. Toute collecte doit être légale, loyale et transparente. Le consentement des personnes concernées est requis, de même que la limitation des données à ce qui est strictement nécessaire.

L’Autorité de Protection des Données Personnelles (APDP) est l’organe chargé de veiller à l’application de ces principes. Mais dans la pratique, peu d’établissements scolaires sont en conformité avec la législation. Il n’y a pas, par exemple, de délégués à la protection des données dans les structures éducatives, ni de registres de traitement des données.

Les logiciels utilisés ne sont pas systématiquement audités, et les contrats avec les prestataires ne contiennent pas toujours de clauses de confidentialité conformes à la loi.

V. Vers une éducation numérique éthique : que faire ?

La protection des données personnelles dans le système éducatif ne peut plus être considérée comme une option. Elle est une exigence pour garantir le respect des droits fondamentaux des élèves et étudiants. Il est donc urgent d’agir à plusieurs niveaux :

  • Renforcer la sensibilisation : Former les enseignants, les personnels administratifs et les élèves à la notion de données personnelles et à leurs droits.
  • Mettre en conformité les établissements : Imposer des audits de sécurité et l’adoption de politiques de confidentialité claires.
  • Encourager l’utilisation de solutions éthiques : Privilégier des logiciels respectueux de la vie privée, hébergés localement ou dotés de garanties contractuelles solides.
  • Donner un rôle central à l’APDP : Intégrer l’autorité dans les projets de digitalisation du secteur éducatif, notamment en l’associant à l’élaboration de cahiers de charges.
  • Inclure la protection des données dans les programmes scolaires : Dès le secondaire, sensibiliser les jeunes citoyens à leurs droits numériques, dans un esprit d’éducation civique moderne.

La transformation numérique de l’éducation au Bénin est une opportunité formidable pour démocratiser l’accès au savoir et améliorer la gestion scolaire. Mais elle ne peut se faire au détriment de la vie privée des apprenants. Protéger les données personnelles des élèves et étudiants, c’est leur permettre d’évoluer dans un environnement éducatif respectueux de leur dignité et de leurs droits. C’est aussi les former, dès aujourd’hui, à être des citoyens numériques responsables, conscients des enjeux de demain.

ARAYE W. Arthur

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