LE SORT DES DONNEES A CARACTERE PERSONNEL APRES LE DECES DE LA PERSONNE CONCERNEE
Acte 2 : La prévision du sort des données personnelles par la personne concernée
Dans la continuité du régime supplétif abordé dans l’Acte 1, il s’avère important d’examiner un autre scénario : celui où la personne concernée anticipe le sort de ses données après son décès. À la différence du régime supplétif, dans lequel les héritiers doivent faire face à des incertitudes et des limitations imposées par les plateformes numériques, la prévision du sort des données personnelles permet à la personne concernée de garder un certain contrôle sur ses informations post-mortem.
Cette capacité d’anticipation repose sur la possibilité offerte aux individus de définir des directives générales ou particulières concernant la conservation, l’effacement ou la communication de leurs données après leur disparition. Ces directives, bien que juridiquement encadrées, soulèvent plusieurs questions : Comment sont-elles mises en œuvre ? Qui est chargé de leur exécution ? Et quelles sont leurs limites ?
1. Les mécanismes de prévision des données Post-Mortem
A. Les Directives Générales et Particulières
Les personnes concernées ont la possibilité de prévoir à l’avance ce qu’il adviendra de leurs données après leur décès. Ces directives peuvent être de deux types :
- Les directives générales : Elles s’appliquent à l’ensemble des données personnelles de la personne concernée, indépendamment du service ou du responsable de traitement.
- Les directives particulières : Elles visent un ou plusieurs traitements spécifiques de données personnelles, par exemple les comptes de réseaux sociaux, les messageries électroniques ou les dossiers médicaux numériques.
Ces directives ont une portée contraignante et doivent être respectées par les responsables du traitement des données. Elles peuvent être enregistrées auprès d’un tiers de confiance numérique certifié, tel qu’un notaire ou une plateforme désignée par l’autorité de protection des données.
B. La désignation d’un Exécuteur de Directives
Pour garantir l’application des directives, la personne concernée peut désigner une personne de confiance chargée de veiller à leur mise en œuvre. Cette personne, souvent appelée légataire numérique, aura la responsabilité d’interagir avec les services concernés pour s’assurer que les volontés du défunt sont respectées.
À défaut de désignation d’un exécuteur de directives, ce rôle peut être assumé par les héritiers légaux. Toutefois, des conflits peuvent surgir si plusieurs héritiers revendiquent des droits divergents sur les données du défunt. C’est pourquoi la formalisation des directives est primordiale.
2. Les effets juridiques et techniques des Directives Anticipées
A. Le respect des Directives par les Responsables de Traitement
Les responsables de traitement, qu’il s’agisse de plateformes numériques, d’administrations ou d’entreprises, sont tenus de respecter les directives laissées par la personne concernée. Selon le cadre juridique en vigueur, cela signifie qu’ils doivent :
- Mettre en œuvre les demandes d’effacement des données si cela a été spécifié.
- Assurer la portabilité des données vers un bénéficiaire désigné.
- Clôturer ou transformer certains comptes en pages commémoratives, selon les instructions laissées.
Toutefois, certains services imposent des Conditions d’Utilisation Restrictives qui peuvent limiter la transmission des données aux héritiers ou rendre plus complexe la mise en œuvre des directives.
B. L’interaction entre Directives et Régime Supplétif
Une difficulté majeure réside dans l’articulation entre les directives laissées par la personne concernée et le régime supplétif applicable en leur absence. Deux hypothèses sont envisageables :
- Une directive exclut explicitement le régime supplétif : Dans ce cas, la volonté du défunt prime, mais uniquement pour les données couvertes par la directive.
- Une directive reste silencieuse sur certains aspects : Le régime supplétif peut alors s’appliquer de manière complémentaire, sauf contradiction avec la directive en vigueur.
Cette interaction signifie que même lorsque des directives sont établies, certaines données peuvent encore être soumises à un régime par défaut si elles ne sont pas expressément mentionnées.
3. Les défis et limites des Directives Anticipées
A. Les obstacles juridiques et techniques
Bien que les directives post-mortem soient un outil efficace pour organiser la gestion des données après décès, elles se heurtent à plusieurs défis :
- L’absence d’harmonisation législative : Tous les pays ne reconnaissent pas la validité de directives anticipées pour la gestion des données numériques.
- La méconnaissance des utilisateurs : De nombreuses personnes ignorent qu’elles peuvent organiser le sort de leurs données.
- Les obstacles techniques : Certains services numériques ne proposent pas encore d’outils permettant de formaliser ces directives.
B. Le Rôle des Autorités de Régulation
Pour pallier ces difficultés, les autorités de protection des données, comme la CNIL en France ou l’Autorité de Protection des Données au Bénin, ont un rôle crucial à jouer. Elles peuvent :
- Encadrer les pratiques des plateformes numériques pour garantir le respect des volontés exprimées.
- Favoriser la création d’un registre national ou international permettant d’enregistrer les directives anticipées.
- Sensibiliser les citoyens sur l’importance de prévoir le sort de leurs données numériques.
En général, l’anticipation du sort des données personnelles après le décès est un droit fondamental qui permet aux individus de garder un contrôle sur leur patrimoine numérique. Les directives anticipées offrent une solution efficace, mais elles nécessitent d’être mieux encadrées juridiquement et techniquement pour être pleinement applicables.
Dans la pratique, la mise en place de mécanismes simples et accessibles reste un défi majeur. Pour garantir l’effectivité des volontés des individus, il est essentiel d’améliorer la coopération entre les législateurs, les plateformes numériques et les citoyens.
Ainsi, au-delà des solutions existantes, il est impératif d’œuvrer vers une harmonisation internationale des règles encadrant les données post-mortem, afin d’assurer une protection effective et respectueuse des choix de chacun.
