LE SORT DES DONNEES A CARACTERE PERSONNEL APRES LE DECES DE LA PERSONNE CONCERNEE
Acte 1 : L’application d’un régime supplétif en l’absence de directives
Le droit à la protection des données personnelles est un droit fondamental qui vise à garantir la confidentialité et l’intégrité des informations relatives à une personne physique identifiée ou identifiable. Toutefois, ce droit est intimement lié à l’existence de la personne concernée. Ainsi, au décès de cette dernière, se pose la question du devenir de ses données à caractère personnel.
Pendant longtemps, le législateur est resté silencieux sur ce sujet, considérant que les droits liés à la personnalité s’éteignent avec la mort. Toutefois, avec la numérisation croissante des échanges et l’importance des empreintes numériques laissées par les individus, une réflexion s’est imposée afin de déterminer dans quelle mesure ces données doivent être maintenues, effacées ou accessibles aux ayants droit.
En l’absence de directives laissées par la personne concernée, c’est un régime supplétif qui s’applique. Un régime supplétif désigne un ensemble de règles qui interviennent par défaut, lorsque l’intéressé n’a pas pris de dispositions spécifiques.
Ce régime repose alors sur des règles générales qui encadrent le devenir des données du défunt, ainsi que sur des droits spécifiques reconnus aux héritiers afin de gérer certains aspects de cette transmission numérique post-mortem.
1. Le principe de l’extinction des droits sur les données après le décès
A. L’absence de droit propre de la personne décédée
Le droit des données personnelles protège exclusivement les personnes physiques vivantes. À ce titre, la législation européenne et plusieurs législations nationales, comme la loi française du 6 janvier 1978, considèrent que les droits liés aux données personnelles s’éteignent avec la personne concernée. Ainsi, le décès entraîne, en principe, la disparition des droits d’accès, de rectification et d’opposition que le défunt aurait pu exercer sur ses propres données.
Cependant, l’absence de droit propre du défunt sur ses données ne signifie pas que ces dernières disparaissent automatiquement. En effet, les informations numériques du défunt peuvent toujours être exploitées pour des finalités légitimes, ce qui soulève la question des acteurs habilités à intervenir sur ces données après la mort de la personne concernée..
B. La persistance des données après le décès
En pratique, la mort d’une personne ne signifie pas la suppression immédiate de ses données. Celles-ci peuvent être maintenues par différents responsables de traitement pour diverses raisons :
- Obligations légales : Certaines données doivent être conservées pendant une période déterminée à des fins administratives, fiscales ou judiciaires.
- Conservation des archives : Certaines plateformes numériques proposent des comptes commémoratifs permettant aux proches de conserver un souvenir du défunt.
- Enjeux économiques : Les fournisseurs de services numériques peuvent conserver des données pour des raisons commerciales, en l’absence de réglementation claire imposant leur suppression.
Face à ces réalités, le cadre juridique a progressivement évolué afin d’introduire des droits spécifiques pour les héritiers, leur permettant d’intervenir sur ces données et d’en demander la suppression, la modification ou l’accès.
2. Les droits reconnaissables aux héritiers
A. L’accès aux données du défunt
Selon l’article 85 de la loi du 6 janvier 1978, les héritiers légaux disposent de certains droits relatifs aux données du défunt. Ils peuvent ainsi demander :
- L’identification et la communication des données utiles à la liquidation et au partage de la succession.
- La récupération des données ayant une valeur patrimoniale ou sentimentale, telles que les correspondances électroniques, les photos ou les documents stockés sur des services en ligne.
- L’accès aux comptes bancaires numériques pour assurer la gestion successorale des actifs financiers en ligne.
Toutefois, ces droits ne sont pas absolus. Certaines catégories de données, notamment celles protégées par le secret médical ou celles relevant de la vie privée du défunt, peuvent être exclues du champ d’accès des héritiers.
B. La demande de suppression ou de clôture des comptes numériques
Les héritiers peuvent également exercer le droit à l’effacement ou demander la clôture des comptes numériques du défunt. Cette possibilité est particulièrement pertinente pour éviter :
- L’usurpation d’identité post-mortem, un phénomène en augmentation.
- L’exploitation commerciale des données du défunt par certaines plateformes numériques.
- La persistance d’un profil en ligne en décalage avec la volonté de la famille.
Toutefois, la mise en œuvre de ce droit dépend des Conditions Générales d’Utilisation (CGU) des services numériques. Certains réseaux sociaux, comme Facebook ou Instagram, permettent la transformation des profils en pages de commémoration, mais ne prévoient pas toujours la suppression immédiate des données.
3. Les limites et enjeux du régime supplétif
A. Les restrictions imposées par les plateformes numériques
Si le régime supplétif permet aux héritiers d’intervenir sur les données du défunt, leur action est souvent limitée par les politiques internes des plateformes numériques. Plusieurs services en ligne interdisent, par exemple, la transmission des identifiants ou l’accès aux messages privés du défunt, invoquant le respect de la confidentialité.
Ce type de restriction soulève des tensions entre le respect de la vie privée du défunt et les droits successoraux des héritiers. Certains tribunaux ont déjà eu à se prononcer sur ces questions, et les jurisprudences varient selon les pays.
B. Le risque d’une conservation prolongée des données
En l’absence de directives claires, certaines données du défunt peuvent rester accessibles pendant des années, posant plusieurs problèmes :
- Un risque de violation posthume de la vie privée, notamment si des données sensibles sont accessibles publiquement.
- Une charge émotionnelle pour les proches, confrontés à des rappels numériques du défunt.
- Des implications économiques et juridiques, notamment dans le cadre du droit à l’oubli.
Le régime supplétif qui s’applique aux données personnelles après le décès d’une personne repose sur un équilibre délicat entre la disparition des droits de la personnalité et la nécessité d’assurer la gestion successorale du patrimoine numérique. En l’absence de directives explicites laissées par la personne concernée, les héritiers disposent de droits limités mais encadrés, leur permettant d’accéder à certaines informations et de demander la suppression ou la conservation de certaines données.
Toutefois, la mise en œuvre de ces droits se heurte à de nombreuses restrictions techniques et juridiques, souvent imposées par les services numériques eux-mêmes. Dans ce contexte, il apparaît indispensable d’encourager les personnes concernées à anticiper cette problématique en laissant des directives claires, (Acte 2…).
Une réflexion législative plus approfondie pourrait également permettre d’améliorer l’équilibre entre la protection de la vie privée du défunt et les droits des héritiers sur ses données.
