Capturer l’inattendu : quand le buzz conduit en prison !

Dans l’ère numérique où chaque instant peut être capturé en un clic, il n’est pas rare de ressentir l’impulsion de saisir notre smartphone pour immortaliser un moment inattendu. Mais derrière chaque cliché se cachent des implications juridiques importantes à considérer.

Buzzer par la photo (l’image) de la peine d’autrui

Photos de personnes blessées, photos de femmes battues, images de présumés voleurs se faisant lyncher etc. les images susceptibles de porter atteinte à la dignité de la personne pullulent sur le net. Les peines d’autrui sont devenues la muse des photobuzzers. Elles sont le plus souvent le fait de personnes en quête de visibilité sur les réseaux sociaux. La devise c’est “la notoriété à une photo”.

Là bas, il ne faut rien pour devenir populaire ou “influenceur”. Ainsi, tout contenu, qu’il soit créé ou volé, digne ou indigne, est bon pour tenter de faire son trou. Mieux encore, capturer l’inattendu, un instant de vie volé à un semblable, une personne agonisante, une personne en détresse, une personne en accès de folie, peut créer un buzz “très profitable”. 

En somme, les prises de photo dans les situations d’accidents routiers, alimentée par la facilité d’accès aux smartphones et aux caméras est devenue une pratique courante à l’ère du numérique. Cette pratique emporte pourtant des implications juridiques délicates.

Le Code du Numérique établit en réalité des règles claires et définit les limites de la prise d’image d’autrui sans consentement. Plus qu’une simple question de vie privée, cela s’inscrit dans un cadre plus vaste de réglementation des images et de protection des individus.

La photo (l’image), une donnée chère au législateur

La loi N°2015-07 du 20 mars 2015 portant code de l’Information et de la Communication en République du Bénin, à travers son article 50, avait déjà jeté les bases de la prise d’images sans consentement de la personne concernée. Elle stipule tout d’abord que « Toute personne a un droit exclusif sur son image et sur l’usage qu’on peut en faire », avant de définir le droit à l’image comme « le droit à la non-reproduction et à la non-utilisation de l’image d’une personne ou de ses traits sans son consentement. En conséquence, la publication, la diffusion, la reproduction, l’exposition, l’individualisation, la composition et la présentation de l’image ou des traits d’une personne à des fins commerciales, artistiques ou non, ne peuvent se faire sans le consentement de celle-ci. »

Le Code du Numérique, quant à lui, à travers son livre VI reprend les infractions courantes en la matière. Il définit d’abord « l’image » comme une donnée à caractère personnel avant de reprendre celle relative à la commission d’infractions en son article 527. De la définition de données à caractère personnel, il dispose qu’il s’agit de « toute information de quelque nature que ce soit et indépendamment de son support, y compris le son et l’image, relative à une personne physique identifiée ou identifiable appelée personne concernée. ». 

L’infraction à la photo (l’image), une peine prévue

Cependant, si le principe juridique « Nullum Crimen, Nulla Poena Sine Lege » qui suppose qu’aucune incrimination, aucune peine ne peut exister sans avoir été prévue par un texte ne fait plus aucun doute, quelles sont les éventuelles infractions et peines auxquelles sont exposés les auteurs d’une telle pratique ? Peuvent-ils encore, en 2024, se permettre de capter l’inattendu pour le seul plaisir d’animer la une des réseaux sociaux, en méconnaissance des lois encadrant la protection de la vie privée et de l’image des individus ?

Au cœur de la législation numérique réside le principe fondamental selon lequel la capture de l’’image d’une personne sans son consentement constitue une infraction. Le Code du Numérique énonce clairement cette disposition, en affirmant que toute captation d’images, toute prise de photo doit respecter le droit à la vie privée et à l’intégrité des personnes concernées. 

Conformément à l’article 527 de ce code, il est explicitement déclaré que « Est constitutif d’un acte de complicité des atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, le fait d’enregistrer sciemment, par quelque moyen que ce soit, sur tout support que ce soit, des images relatives à la commission d’infractions. ». Cette règle s’applique également aux situations d’accidents routiers, où la sensibilité et la vulnérabilité des personnes impliquées exigent une attention particulière. Ainsi, il est clair que toute personne qui viole ces lois s’expose à des sanctions en vertu du principe fondamental de protection de données à caractère personnel.

La vie humaine avant les buzz

Lorsqu’un témoin ou une personne se trouve en présence d’un lieu d’accident routier, les gestes premiers sont cruciaux pour respecter les droits et la dignité des individus concernés. 

En premier lieu, il est essentiel de prioriser l’assistance aux personnes impliquées de peur de se voir poursuivre pour délit de « non-assistance à personne en cas de danger », même en l’absence de captation d’images ou de prise de photos. Là encore, il n’est pas question de jouer les super-héros, mais de mettre en place des gestes et des actions simples à la portée de tous et toutes.

Ensuite, il est primordial d’appeler les secours. Ceci permettra d’informer les professionnels de secours pour une intervention rapide et une prise en charge de la personne accidentée.

En effet, le geste le plus important lorsqu’il s’agit d’accidents routiers est de secourir la victime si, au préalable, la personne qui porte assistance est formée aux gestes de premiers secours ou que les secours au téléphone guident cette dernière pour prodiguer des gestes d’urgence. 

La prise d’images inattendues peut être légitimée dans de rares cas afin de documenter les circonstances de l’événement et de fournir des preuves en cas de litige ou de procès. La protection de la vie privée doit guider les actions, ce qui permettra ainsi d’éviter toute captation d’images intrusives ou inutiles.

La photo postée en ligne peut garantir le buzz et la prison

Le non-respect de ces principes peut entraîner des sanctions conformément à la législation en vigueur. Le code de l’information et de la communication, repris par le Code du Numérique, prévoit des mesures dissuasives pour ceux qui enfreignent les règles relatives à la captation d’images. Concernant l’enregistrement d’images relatives à la commission d’infractions, l’article 527, dans son énoncé, prévoit des sanctions à cet effet « …Le fait de diffuser l’enregistrement de telles images est puni de cinq (05) ans d’emprisonnement et de vingt-cinq millions (25 000 000) de francs CFA d’amende. »

En ce qui concerne les atteintes à la vie privée commises sur internet, l’article 574 du même code sanctionne de « cinq (5) ans d’emprisonnement et de vingt-cinq millions (25 000 000) de francs CFA d’amende, le fait, au moyen d’un ou sur un réseau de communication électronique ou un système informatique, de volontairement porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui

  • en captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ; 
  • en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé. »

Retenons en général que la conduite à adopter en présence d’un lieu d’accident doit être guidée par des premiers gestes empreints d’humanité, de respect et de prévoyance. 

Arnaud Bill GBESSEMEHLAN

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